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Visite de Jean-Yves Le Drian en Iran : enjeux et enseignements

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Si Jean-Yves Le Drian s’est rendu en Iran les 4 et 5 mars derniers avec l’ambition d’aborder de manière constructive les différents enjeux diplomatiques du moment – notamment dans le but de prévenir une sortie de Washington de l’accord sur le nucléaire iranien – le chef de la diplomatie française en est reparti quelque peu désabusé. Alors qu’il a rencontré tour à tour Hassan Rohani, président de la République islamique, Mohammad Javad Zarif, son homologue aux affaires étrangères et le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, M. Ali Shamkhani, les concessions ont été maigres et l’avenir de l’accord reste plus que jamais incertain.

Une visite à forts enjeux  

Jean Yves Le Drian et Mohamad Javad Zarif

Cette visite, reportée une première fois à la suite des manifestations en Iran, présageait d’importantes avancées sur les sujets chauds du moment, à savoir l’accord sur le nucléaire iranien, le programme balistique de Téhéran ou encore son influence régionale grandissante. Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères espérait ainsi un « dialogue franc et exigeant »[1] avec la République islamique afin d’obtenir des concessions de Téhéran, notamment sur son programme balistique, cible de l’ultimatum adressé par Donald Trump. A la mi-janvier, le président américain a en effet exigé des Européens un durcissement du Plan d’action global commun, tout en ciblant également la politique régionale et le développement des capacités en matière de missiles balistiques iraniennes. La position de Washington est claire : si rien n’a été fait d’ici le 12 mai, les États-Unis sortiront purement et simplement de l’accord. On comprend dès lors la proactivité française et le déplacement de Jean-Yves Le Drian, lui qui a toujours rappelé son attachement au texte de Vienne. Dans un rôle d’équilibriste complexe, le ministre a ainsi cherché à arbitrer entre les exigences américaines et la position française plus mesurée pour préserver l’accord et la reprise de relations diplomatiques apaisées avec l’Iran. Arguant qu’il constitue un « facteur de déstabilisation de la région »[2] contraire à la résolution 2231 du Conseil de sécurité, Jean-Yves Le Drian a cherché à obtenir des concessions de Téhéran quant à son programme balistique tout en lui demandant de réduire son implication déstabilisatrice dans différentes crises régionales – en Syrie, en Irak, au Yémen ou au Liban. Soucieux de maintenir un contact privilégié avec la République islamique, le ministre n’en a pas moins rappelé l’importance de la relation franco-iranienne, en inaugurant notamment l’exposition « Le Musée du Louvre à Téhéran ».

L’écart entre ambition et réalité sur fond d’impératifs stratégiques

Alors que Jean-Yves Le Drian ne souhaitait ni se poser en « émissaire de Donald Trump » ni agir comme « l’avocat des iraniens »[3], il s’est heurté de plein fouet à l‘intransigeance de Téhéran, dictée par plusieurs impératifs stratégiques pour la République islamique.  Malgré le caractère historique de la visite[4], avec un déplacement inédit depuis 1979, les discussions n’ont pas été véritablement fécondes. Aux arguments quant au programme balistique, le pensionnaire du Quai d’Orsay s’est vu répondre que ces missiles constituent pour Téhéran un impératif stratégique dans la cadre de sa politique de dissuasion, particulièrement nécessaire face à l’agressivité saoudienne grandissante. Sur le cas syrien, les avancées ont été inexistantes. Alors que la France a demandé au régime iranien de modérer son soutien à Bachar Al Assad, notamment pour prévenir le risque d’un « cataclysme humanitaire »[5] dans la Ghouta, le président Rohani a rappelé que, pour l’Iran, le maintien et le renforcement du président Assad sont le seul moyen de régler la crise syrienne, règlement dans lequel le pays souhaite conserver une place de choix. Enfin, dans un entretien postérieur à la visite, Mohammad Javad Zarif a dénoncé « l’extrémisme [des pays européens] pour conserver les États-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien ». Une attitude qui peut, selon lui « nuire en fin de compte à la politique de l’Europe »[6].

Si la France a cherché à maintenir une ligne partiellement indépendante vis-à-vis des États-Unis sur la question du nucléaire iranien, elle n’en reste pas moins confrontée à une réalité de terrain dictée tant par des impératifs stratégiques que par le rôle de certaines puissances incontournables. L’échec de la visite de Jean-Yves Le Drian rappelle cruellement au Quai d’Orsay qu’il n’est plus – s’il l’a jamais été – le maître du jeu au Moyen-Orient.

[1] France Diplomatie, « Iran – Déplacement de Jean-Yves le Drian (5 mars 2018) », https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/iran/evenements/article/iran-deplacement-de-jean-yves-le-drian-05-03-18

[2] Ibidem

[3] RFI, « Jean-Yves Le Drian en Iran à la rescousse de l’accord sur le nucléaire », 4 mars 2018, http://www.rfi.fr/moyen-orient/20180304-le-drian-iran-rescousse-nucleaire-accord

[4] Louis Imbert, Marc Semo, Jean-Pierre Stroobants, « Délicate tentative de médiation de la France sur le nucléaire iranien », Le Monde, 3 mars 2018, http://www.lemonde.fr/international/article/2018/03/03/delicate-tentative-de-mediation-de-la-france-sur-le-nucleaire-iranien_5265199_3210.html

[5] Marc Semo, « A Téhéran, Jean-Yves Le Drian se heurte à l’intransigeance iranienne », Le Monde, 6 mars 2018, http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/03/06/a-teheran-jean-yves-le-drian-se-heurte-a-l-intransigeance-iranienne_5266306_3218.html#HfZLX1stToO6sMBa.99

[6] « Visite de Le Drian à Téhéran: l’Iran oppose une fin de non-recevoir à Paris », L’Express, 6 mars 2018, https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/visite-de-le-drian-a-teheran-l-iran-oppose-une-fin-de-non-recevoir-a-paris_1990005.html

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